Dérives de la spiritualité moderne : comment reconnaître et dépasser les pièges de l’ésotérisme contemporain
- Jérôme Cheval
- 28 mai
- 4 min de lecture

La spiritualité, dans sa forme la plus noble, vise une quête de sens, de transformation intérieure et de reliance avec le vivant. Elle nous invite à grandir en conscience, en amour, en ouverture. Mais cette quête peut parfois prendre des détours inquiétants : discours excluants, théories pseudo-scientifiques, récupération marchande ou même élitisme spirituel.
Pourquoi observe-t-on aujourd’hui autant de dérives dans la spiritualité moderne ? Sont-elles des erreurs isolées ou les traces d’un héritage plus profond ? Cet article propose une plongée dans les racines historiques et sociologiques des dérives de la spiritualité moderne, tout en appelant à une pratique plus consciente et inclusive.
Héritage occultiste et racines problématiques
De nombreux courants spirituels contemporains — en particulier ésotériques — trouvent leur origine dans l’occultisme européen du XIXe siècle (théosophie, anthroposophie, rosicrucianisme…). Ces mouvements ont émergé dans un contexte imprégné de colonialisme et de théories racialistes.
Helena Blavatsky, figure majeure de la théosophie, affirmait par exemple que l’humanité évoluait à travers des cycles de « races-racines », certaines supposées plus avancées spirituellement. Ces idées ont influencé certains courants proto-fascistes. Rudolf Steiner, fondateur de l’anthroposophie, a également été critiqué pour des propos sur les hiérarchies raciales.
Aujourd’hui, ces textes sont relus et déconstruits par des chercheurs et des praticiens. Il devient essentiel de distinguer les apports philosophiques de ces traditions des biais racistes ou colonialistes qu’ils véhiculent parfois.
L’élitisme spirituel : la tentation de la supériorité
Certains discours spirituels véhiculent l’idée que certaines âmes seraient plus évoluées, plus lumineuses, ou plus proches d’un plan supérieur. Les notions d’âmes indigo, âmes galactiques, ou guérisseurs incarnés participent de cette vision hiérarchique.
Pour certains, ces concepts peuvent aider à mieux se comprendre. Mais mal utilisés, ils nourrissent un élitisme spirituelqui oppose les "éveillés" aux "inconscients", les "élus" aux "autres".
Comme le rappelle Thomas d’Ansembourg :« Le chemin spirituel est un chemin d’humilité, pas d’orgueil déguisé. »
Appropriation culturelle et perte de sens
La spiritualité occidentale moderne emprunte souvent à d’autres traditions : yoga, méditation, rituels amérindiens, médecine amazonienne… Lorsque ces pratiques sont respectueuses, contextualisées et transmises par des personnes formées, elles peuvent être des ponts magnifiques.
Mais lorsqu’elles sont récupérées, décontextualisées ou marchandisées, elles deviennent des formes d’appropriation culturelle.
Exemples fréquents :
L’usage de sauge blanche dans des rituels sans lien avec les traditions autochtones
Des cérémonies de type temazcal animées sans formation adéquate
De nombreuses voix autochtones demandent aujourd’hui reconnaissance, dialogue et responsabilité autour de ces usages.
Intuition, croyance… ou dérive pseudoscientifique ?
La spiritualité valorise l’intuition, le ressenti, la guidance intérieure. Mais attention lorsque ces expériences deviennent des vérités absolues, présentées comme supérieures à toute approche critique ou scientifique.
Des théories comme celles des races stellaires, de la mémoire cellulaire karmique ou du réveil vibratoire planétaire peuvent inspirer, mais aussi piéger.
Certains penseurs comme Nassim Haramein ou Gregg Braden appellent à concilier science et conscience, en gardant un esprit ouvert sans renoncer à l’esprit critique.
La vraie spiritualité n’a pas peur du doute : elle l’intègre comme moteur d’éveil.
Méfiance envers les institutions : entre lucidité et complotisme
Beaucoup se tournent vers la spiritualité alternative après avoir perdu confiance dans les systèmes établis : médical, politique, éducatif ou religieux. Cette méfiance est parfois légitime… mais elle peut aussi dériver vers un rejet global et complotiste.
Durant la crise du COVID-19, des figures comme Christian Tal Schaller, Jean-Jacques Charbonier ou Laura Marie ont diffusé des discours où le mal était incarné par des forces occultes mondiales. Si certains y ont trouvé une forme de souveraineté personnelle, d’autres y ont vu une résurgence de stéréotypes dangereux, parfois à connotation raciale.
Il devient essentiel de savoir critiquer sans diaboliser, questionner sans exclure.
Face aux dérives de la spiritualité moderne : vers une voie plus juste et inclusive
Heureusement, une nouvelle génération d’auteurs, de praticiens et de collectifs cherche à incarner une spiritualité décoloniale, solidaire et ancrée dans le réel.
Des voix comme Bayo Akomolafe, Layla Saad, Aurora Levins Morales ou le collectif Decolonizing Spirituality ouvrent une voie où quête intérieure et justice collective ne sont pas opposées, mais indissociables.
Des pratiques émergent :
Cercles de parole afro-descendants
Cérémonies queer-friendly
Formations en trauma-spiritualité
Sororité féministe et sacrée
Ces espaces, parfois perçus comme exclusifs, répondent à un besoin de réparation : ils ne visent pas à exclure, mais à redonner la parole à celles et ceux longtemps marginalisés dans les espaces spirituels.
Créer des espaces sûrs, c’est offrir un terrain de guérison, de réappropriation et de transformation collective.
Quelques pistes pour incarner une spiritualité consciente
🌀 Observer ses croyances
D’où viennent-elles ? Sont-elles fondées sur des blessures, des peurs ou une vraie ouverture à l’autre ?
🌍 Sortir de sa zone de confort
Lire des auteurs racisés, écouter des voix marginalisées, fréquenter des cercles où l’on n’est pas en position dominante.
🔥 Privilégier l’expérience vivante au dogme
Ce qui transforme a plus de valeur que ce qui fige.
🌱 Cultiver l’humilité
Accepter de ne pas tout savoir, rester curieux, reconnaître ses erreurs comme des étapes d’éveil.
❤️ Allier intériorité et engagement
Méditer, prier, mais aussi agir : dans son quartier, son écologie, son tissu social.
Une spiritualité au service du vivant
Il est non seulement possible mais nécessaire d’incarner une spiritualité du cœur, lucide, humble et reliée au monde. Une spiritualité qui unit plutôt qu’elle ne sépare. Qui soigne au lieu d’exclure. Qui agit plutôt que fuir.
Cela implique un travail critique, une ouverture sincère et une relecture des héritages ambigus. Car la vraie spiritualité ne fuit pas le monde : elle le traverse et le transforme, au service du vivant, du lien et de l’amour agissant.
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